Caractères de Titres

Bibliotheques Paris

Bibliotheques / Bibliotheques Paris 506 Views comments

La BnF accueille tous les ans des chercheurs associés qui conduisent un travail au plus près de ses collections.& Aurélien Vret présente l’avancement de ses recherches menées à la Bibliothèque de l’Arsenal autour de son projet :& Pourquoi il est essential de faire de la typographie contemporaine à la BnF, et ce que cela change pour l’avenir de la création artistique en& général.

La structure de la Fonderie Générale des caractères français et étrangers.

La Fonderie Générale peut être décrite comme une société en commandite de fonderies constituée à partir de l’année 1836, date à laquelle elle absorba la fonderie de Firmin Didot père et fils1 :

Une société en commandite, au capital de 700.00zero francs suivant acte passé devant Mᵉ Preschez jeune, notaire à Paris, devait commencer ses opérations le 1ᵉʳ novembre dernier [1836] sous le titre de Fonderie Générale des caractères français et étrangers pour l’exploitation des fonderies réunies, Molé, Tarbé, Crosnier et Éverat. Dans cet acte, il est indiqué qu’une succursale est établie à Luzarches (Seine-et-Oise). Nous avions appris depuis peu que ce nouvel établissement était déjà en activité et que huit fourneaux, montés avec des paysans, commençaient à verser leurs produits dans Paris.

Adolphe Auguste Éverat (1801-18..) dirigeait une imprimerie très prospère et était en même temps fondeur. Il fournissait des capitaux à Balzac2 et imprimait un grand nombre de brochures saint-simoniennes3. Il exécuta des commandes de libraires pour le compte d’Eugène Renduel (1798-1874) en imprimant Charles Nodier, Victor Hugo, Alfred de Musset ou celles de Charles Gosselin (1795-1859) en imprimant Madame de Girardin, Alfred de Vigny et Balzac4. La faillite retentissante de son imprimerie5 eut des répercussions jusque dans la gestion de la Fonderie Générale. E. Tarbé (18..-18..), qui en était le gérant, en détaille les conséquences lors de son compte rendu au conseil de surveillance6 :

Dans le cours de cette année nous avons été atteints du contre- coup des malheurs de la maison Éverat et compagnie, qui était notre plus considérable clientèle. Les affaires de cette maison ayant été l’occasion de plusieurs opérations importantes, il est nécessaire que je les remette sous vos yeux dans l’ordre où j’ai eu l’honneur de vous en entretenir. Vers le mois de mars 1839, M. Éverat avait convoqué une assemblée générale de ses actionnaires, et il espérait y trouver des ressources pour continuer l’exploitation de son imprimerie; mais pour atteindre sans suspension de paiement le second de cette assemblée, une somme de 30,00zero francs lui était nécessaire. M. Éverat vint alors me parler franchement de sa position, de la perte réelle que nous éprouverions si sa maison ne pouvait se soutenir, et il m’offrit de lui souscrire pour 30,00zero francs d’effets à son ordre, et à six, sept et huit mois. […] L’assemblée générale des actionnaires de M. Éverat, qui eut lieu en avril, ne produisit pas, en effet, le bien qu’il en attendait; des demi-mesures, la crise commerciale, l’éloignement des capitalistes pour les opérations qu’ils avaient accueillies avec tant d’ardeur l’année précédente, amenèrent enfin M. Éverat à reconnaître qu’il devait cesser une lutte inutile, où venait se perdre chaque jour l’avoir de ses actionnaires et le sien propre. Une nouvelle assemblée générale décida la liquidation sous la surveillance de commissaires des créanciers et des actionnaires; je fus nommé un des commissaires des créanciers, et j’acceptai cette mission pour surveiller d’autant plus les graves intérêts que nous avions dans celle liquidation. En effet: nous étions créanciers de la société Éverat comme lui ayant livré des caractères qui n’étaient pas payés en totalité, ou dont les règlements n’avaient pas été soldés.

E. Tarbé dirigeait entre 1836 et 1844 une firme aux moyens considérables, capable d’absorber des faillites et réaliser des fusions-acquisitions nécessitant des capitaux importants. L’autre fonderie absorbée par la Fonderie Générale était aussi la fonderie Cronier (ou Crosnier) qui avait été au départ achetée par Adolphe Auguste Éverat7. Cronier était l’élève graveur8 de Joseph Molé (1775-1853)9, comme E. Tarbé, qui succéda à celui-ci pour diriger son ancienne fonderie qui deviendra ensuite la Fonderie Générale.&

Lettre d’Auguste Éverat
Fonderie de E. Tarbé, successeur de Molé, Imprimerie de Béthune et Plon, Paris, octobre 1835, RES M-Q-373

Elle sera ensuite dirigée par Biesta, puis Charles Laboulaye10 (1813-1886), et ensuite par Théophile Beaudoire, sous-directeur de Charles Laboulaye, qui lui donnera la raison sociale11 Beaudoire & Cⁱᵉ. La fonderie Charles Beaudoire & Cⁱᵉ, dirigée par son fils aîné, disparaît le 11 mai 191212 et est ensuite absorbée la même année par la fonderie G. Peignot & Fils.

La gravure des gros caractères au XIXᵉ siècle.

Grosses de fonte très creuse
Joseph Molé, Titres, «N», poinçon en acier, gravé par Joseph Molé, doubles grosses de fonte très creuse, hauteur de capitale de 42,2 mm, fonderie Molé jeune, graveur et fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819, Objet Mandel 206, bibliothèque de l’Arsenal, BnF, copy numérique d’Aurélien Vret.

Le plus gros poinçon du fonds Mandel est un poinçon en acier dont voici la copy. C’est un caractère en métal extrêmement grand et dont la fabrication a nécessité des methods de gravure très avancées pour l’époque. Deux autres poinçons appartenant à la même fonte sont également conservés actuellement à l’Imprimerie nationale13.

doubles grosses de fonte très creuse
Joseph Molé, Titres, «P», poinçon en acier, gravé par Joseph Molé, doubles grosses de fonte très creuse, hauteur de capitale de 42,2 mm, fonderie Molé jeune, graveur et fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819, cabinet des poinçons de l’Imprimerie Nationale, © Atelier du livre d’art et de l’estampe, Groupe Imprimerie Nationale, copy numérique d’Aurélien Vret.

Dans la contre-forme de certains de ces poinçons, on remarque d’ailleurs plusieurs marques laissées par une mèche. Grâce au Dictionnaire des arts et manufactures, écrit par Charles Laboulaye, on comprend les methods spécifiques qui permettaient de graver des poinçons en acier de cette taille14. Il va sans dire que l’emploi d’un contre-poinçon15 pour ce sort d’ouvrage est totalement unimaginable:&

Quelques graveurs emploient peu le contre-poinçon aujourd’hui. Il est en effet souvent assez lengthy à faire, dans certains cas, pour ne donner cependant qu’assez grossièrement le vide qu’il s’agit d’obtenir, et a toujours l’inconvénient de fatiguer l’acier et de rendre les accidents plus fréquents lors de la trempe. Pour s’en dispenser on perce un trou, à l’endroit à creuser, au moyen d’un très petit foret mû par un archet, et on termine le vide à l’échoppe. Quelquefois même on peut se dispenser de cette opération, et après avoir enlevé un peu de matière avec un burin frappé par un marteau, terminer entièrement avec les outils tranchants. On opère toujours ainsi pour les gros caractères.

doubles grosses de fonte très creuse
Joseph Molé, Titres, «H», poinçon en acier, gravé par Joseph Molé, doubles grosses de fonte très creuse, hauteur de capitale de 42,2 mm, fonderie Molé jeune, graveur et fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819, cabinet des poinçons de l’Imprimerie Nationale, © Atelier du livre d’art et de l’estampe, Groupe Imprimerie Nationale, copy numérique d’Aurélien Vret.

Cette method était peut-être déjà pratiquée dans la fonderie d’Henri Didot (1765-1852) qui convainquit son cousin germain, Ambroise-Firmin Didot (1790-1876), d’abandonner l’emploi du contre-poinçon au profit de la gravure au burin. Celle-ci sera très vite remplacée par l’utilization du foret qui sera ensuite monté sur les premières machines-à-outil. Firmin Didot (1764-1836), son père, refusa jusqu’à la fin de sa carrière d’employer cette nouvelle method de gravure16 :

Jusqu’aux premières années de ce siècle on ne connaissait pas d’autre manière de graver surtout les caractères romains et je persiste à le croire encore la meilleure, parce que le talus intérieur des lettres étant plus égal, la fonte en devient plus facile et d’un dépouillement plus régulier que lorsqu’on creuse l’intérieur des lettres au burin et sur pièce; mais comme il faut consacrer beaucoup de temps et de soin à ce procédé du contre-poinçon, il est maintenant tombé en désuétude. Je l’abandonnai moi-même surtout pour la gravure des caractères d’écritures quoique mon père persistât à s’en servir. M. Henri Didot, son cousin germain, fort habile graveur en caractères comme on en peut juger par ceux qu’on a appelés microscopiques, et qui ont servi à l’édition du petit Horace (1828), fut le premier qui renonça aux contre-poinçons; il m’engagea à l’imiter et je suivis son exemple.

doubles grosses de fonte très creuse
Joseph Molé, Titres, tranche inférieure du poinçon en acier, gravé par Joseph Molé, doubles grosses de fonte très creuse, fonderie Molé jeune, graveur et fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819, Objet Mandel 206, bibliothèque de l’Arsenal, BnF, copy numérique d’Aurélien Vret.

Contrairement aux poinçons en acier ordinaires, utilisés pour frapper des matrices en cuivre rouge de petite taille, on remarque que la forme du tronc de pyramide est inversée. Ce qui permet de concentrer les forces lors de la frappe de la matrice sur l’œil du caractère gravé. La forme bombée de la face opposée a peut-être été usinée pour faciliter le contact avec un balancier ou un marteau-pilon17 :

La frappe des gros caractères est plus pénible, parce que la masse de cuivre à refouler, étant considérable, oppose une grande résistance. On frappe alors le cuivre à chaud; mais il ne faut pas le chauffer jusqu’au rouge, parce qu’alors le poinçon le chasserait trop de côté. On trouve avantage à frapper la matrice placée dans une boîte de fer, qui, en empêchant le cuivre de s’écarter, le pressure à remonter et à remplir le contre-poinçon. Ce procédé suffit pour les lettres de deux points et les gros caractères, jusqu’aux moyennes de fonte à peu près, en remplaçant toutefois le marteau par un balancier d’une pressure suffisante et mieux par un marteau-pilon. Fournier recommande d’enlever à l’outil la majeure partie du cuivre qui doit faire place à l’acier. Ce procédé n’est plus usité, et pour les très grosses lettres, les grosses de fonte, par exemple, gravées sur acier, on fait fondre la matrice en cuivre jaune, en donnant pour modèle au fondeur une matrice frappée en plomb. On enlève avec un acide étendu d’eau les scories du fond; puis on frappe à chaud le poinçon, qui unit le fond de la matrice. Un easy moulage peut suffire pour la gravure des grosses lettres d’affiches de dimensions assez grandes pour qu’on les puisse travailler directement dans l’intérieur. Avec de l’habileté et des espèces de rabots guidés par la floor, on retouche les fonds sans altérer leur planimétrie.

L’acier employé pour graver les gros caractères est différent de celui qui était utilisé communément pour les petits corps et les caractères ordinaires de la même époque. Il s’agit d’un acier de cémentation18, provenant d’Allemagne19 :

Néanmoins il faut prendre de l’acier de cémentation, dit acier d’Allemagne, de bonne qualité, pour les gros poinçons, les accolades, and so forth., qui ont à résister à des efforts plus considérables.

Sur la face brillante du chant du poinçon reproduite ici, on remarque aussi quelques marques très différentes de celles laissées par les outils du graveur de poinçon. Elles semblent indiquer que le poinçon en acier a peut-être d’abord été modelé puis moulé, pour être fondu dans de l’acier et ensuite être gravé plus précisément. Seules des mesures en laboratoire établies avec des outils adaptés pourront mieux documenter les methods qui ont rendu attainable la fabrication de ce matériel industriel très spécialisé pour l’époque.

Joseph Molé et la révolution des caractères d’affiche en France.

Le spécimen de caractères : Collection typographique gravée sur acier par Molé jeune, de la fonderie Molé jeune, est le premier qui contient une présentation de ce gros caractère correspondant au poinçon du fonds Mandel. Cette collection de caractères, brevetée par le roi Louis XVIII, avait été très remarquée lors de l’Exposition des produits de l’industrie qui eut lieu au Louvre en 181920. Le spécimen, imprimé par Pierre Didot (1761-1853), imprimeur du roi, en constitue la présentation complète. Pour récompenser le travail de ce jeune graveur et fondeur, composé de 206 fontes21 françaises, italiques, grecques, hébraïques, rabbiniques, arabes, syriaques, samaritaines, en titres pour affiches, en lettres de deux factors ornées, en vignettes, en fleurons, en accolades, en filets anglais, en tremblés, filets de lames, et en garnitures à jour, le roi ordonna qu’on fît transporter sa assortment22 au Conservatoire des arts et métiers pour la conserver «comme un monument des progrès de la typographie sous son règne». Le jury lui décerna la médaille de bronze23.

Collection typographique gravée sur acier par Molé jeune
«Titres», Collection typographique gravée sur acier par Molé jeune, Imprimerie de Pierre Didot, Molé jeune, Graveur et Fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819, 7ᵉ tableau, RES ATLAS-V-82, copy numérique d’Aurélien Vret.

On peut comparer le même « N » de « RÉGIMENS » avec le « N » en lettre capitale dont voici l’agrandissement. Il correspond au même corps de doubles grosses de fonte très creuse que celui mentionné dans le 7ᵉ tableau du spécimen de 1819 et permet d’établir son appartenance à la fonte de Titres pour affiches, et de déterminer le graveur, « Molé Jeune », comme cela est écrit en sous-titre.

Collection typographique gravée sur acier par Molé jeune
Doubles grosses de fonte très creuse, «Titres», Collection typographique gravée sur acier par Molé jeune, Imprimerie de Pierre Didot, Molé jeune, Graveur et Fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819, 7ᵉ tableau, RES ATLAS-V-82, agrandissement du spécimen de caractères d’Aurélien Vret, permettant d’identifier le poinçon.

Les caractères de Titres pour affiches de la fonderie Molé Jeune sont tout de suite considérés comme une innovation dans l’industrie de la fonderie et de la gravure des caractères d’imprimerie de l’époque. Joseph-Gaspard Gillé (1766-1826) le mentionne dans sa Typographie, discover pour le concours des progrès de l’industrie française en 182324 :

Je pense que l’on pourrait combiner un mélange de matières propres à fondre tous les gros ouvrages pour les livrer à un prix modéré. M. Mole suggest toutes ses grandes majuscules et garnitures fondues en fonte de fer; je voudrais encore quelques matières plus légères. Des fondeurs s’occupent en ce moment d’un mastic très-dur; je désire à tous réussite.

Ils répondaient à l’arrivée « des nouveaux caractères d’affiches, en bas de casse et grandes majuscules, chiffres, and so forth. » gravés dans du bois et venus d’Angleterre. Joseph-Gaspard Gillé les critiquait pour leur lourdeur et les formes bizarres qu’il appelait à améliorer25 :

On oppose, pour justifier ce style, que ces varieties s’aperçoivent et se lisent mieux que les caractères en usage en France dans nos affiches: non! nos yeux d’abord étonnés, mais une fois habitués à ces formes bizarres, inconnues jusqu’alors à Paris, cette innovation sera rejetée; je ne suis pas le seul de cet avis: on s’est écarté de la bonne route sur ce level. On pouvait graver des caractères d’affiches d’un œil plus gras, et conserver au moins nos belles formes françaises. Je conclus: j’ai vu des poinçons de MM. Jacquemin père, Marcelin […], Molé, Dallut, plus récens de gravure, des majuscules et des bas de casse gravés par M. Noé, compositeur et professeur d’écritures, qui me font espérer un retour vers le mieux, que j’indique et que je désire. J’ai sous les yeux de nouvelles épreuves de ces caractères; je ne suis plus fâché : j’étais trop sûr d’être entendu.

La fonderie Molé jeune a aussi gravé différentes fontes de lettres de deux points. Ce sont également des caractères de titrage. Il sont nommés ainsi automotive ils occupent l’espace de deux lignes de texte et sont fondus pour que leur corps soit le double du corps des autres caractères avec lesquels ils sont composés26. En 1823, Joseph-Gaspard Gillé mentionne Molé pour la gravure de cette catégorie spécifique de caractères utilisés dans la composition des «beaux titres» exclusivement gravés en lettres capitales27 :

Pour réussir à graver une assortment de lettres de deux points, pour former de beaux titres, et les faire figurer dans les anciennes comme dans les nouvelles éditions, le graveur doit se pénétrer de la difficulté de donner des contours gracieux, de beaux pleins, de belles lignes et d’un aplomb parfait, à ces vingt-quatre malheureuses lettres majuscules de l’alphabet; je dis malheureuses, quand elles sont estropiées et mal d’ensemble. Ce level essential peut être obtenu en calculant bien la gradation des pleins et déliés, depuis la parisienne jusqu’aux plus gros caractères d’affiches.

épreuve de caractères avec annotation manuscrite d’E. Tarbé, de la fonderie de Molé jeune
Joseph Molé, Deux factors, épreuve de caractères avec annotation manuscrite d’E. Tarbé, de la fonderie de Molé jeune, 78 rue de la Harpe, Paris, 1823-1835, assortment et copy d’Aurélien Vret

Dans cette épreuve de caractères de Deux factors on retrouve les fontes mentionnées par Gillé points du catalogue de la fonderie Molé Jeune. Les formes néoclassiques du spécimen de 1819 y sont moins présentes et le goût pour les caractères anglais, importé par un sure M. Smith à Paris, avait obligé les graveurs et fondeurs français à les intégrer à leur catalogue. Pierre Capelle28, tout comme Gillé29, mentionnent qu’il s’agit de caractères empruntés à « nos premières tapisseries fabriquées en 1300 ».

épreuve de caractères avec annotation manuscrite d’E. Tarbé, de la fonderie de Molé jeune
Joseph Molé, Deux points, épreuve de caractères avec annotation manuscrite d’E. Tarbé, de la fonderie de Molé jeune, 78 rue de la Harpe, Paris, 1823-1835, collection et copy numérique d’Aurélien Vret renversée à 90°.

Sur cette même épreuve on peut lire la point out manuscrite « Même prix que ceux des caractères maigres correspondants», dans une belle anglaise. La consultation d’une lettre du 22 octobre 1834 de E. Tarbé30, que celui-ci a envoyé au Ministre de l’intérieur et des travaux publics suite au dépôt du spécimen de 1819 et quelques échantillons de matériel typographique au Conservatoire des arts et métiers31, permet de conclure qu’il s’agit du même scripteur. Cette épreuve est importante pour comprendre le fonctionnement ordinaire des fonderies qui pouvaient les envoyer par correspondance à ses shoppers, sans forcément imprimer des spécimens de caractères coûteux et difficiles à envoyer par la poste. Les caractères ombrés et ornés du catalogue de la fonderie de Molé jeune n’ont pas été gravés par Joseph Molé. Pierre Capelle crédite32 M. Dallut pour les caractères «ombrés et ornés ». MM. Lafont et Dallut sont présentés comme les graveurs des « caractères en lettres blanches », les mêmes qui sont présentés par Molé dans son épreuve comme « ombrées ». Il faut donc analyser avec beaucoup de précautions les épreuves qui accompagnent les fonderies de caractères pour en déterminer les auteurs. Il arrive souvent qu’un graveur possédant sa propre fonderie intègre aussi les caractères d’autres graveurs et que le graveur d’origine ne soit pas mentionné dans les épreuves de ces mêmes catalogues.

comparaison des deux épreuves de «Lettres de deux points maigres» & «Lettres de deux points grasses»
comparaison des deux épreuves de «Lettres de deux points maigres» & «Lettres de deux factors grasses» dans: Fonderie de E. Tarbé, successeur de Molé, Imprimerie de Béthune et Plon, Fonderie E. Tarbé, rue de Madame № 4, Paris, octobre 1835, Princeton College Library, 41648370,

Le spécimen de E. Tarbé de 1835 permet de comprendre que l’annotation manuscrite faisait référence aux caractères « Titres », renommés en « Lettres de deux factors maigres », qui passeront ensuite dans le fonds de caractères de la Fonderie Générale dont E. Tarbé deviendra le gérant jusqu’en 1844.

De la typographie romantique.

Il suffit de chercher les éditions imprimées par Adolphe Auguste Éverat au moment de la publication de la Assortment typographique gravée sur acier par Molé jeune de 1819, pour trouver un très grand nombre d’usages de ces mêmes caractères. La première publication stricto sensu de ces caractères est difficile à déterminer puisque ni le fondeur ni l’imprimeur ne le mentionnent dans leurs catalogues. Mais l’apparition des caractères de la Fonderie Molé jeune est tout de suite très abondante. Adolphe Auguste Éverat a été l’imprimeur33 du célèbre libraire Pierre-François Ladvocat (1791-1854) et il a employé les mêmes fontes très vite pour ses propres publications et leur promotion publicitaire.

Catalogue de Libraire de Ladvocat
Pierre-François Ladvocat, Librairie de Ladvocat, à Paris, Palais-Royal, Galerie de bois, №. 195, Ouvrages publiés par souscription, Imprimerie de Fain, Paris, 1823, FOL-Q10B-264

L’utilisation de ces nouveaux caractères de Titres pour affiches, ainsi que les Lettres de Deux points, est concomitante de la banalisation des prospectus de librairie parfois imprimés dans des tirages plus importants que ceux des exemplaires des éditions dont ils font la promotion. Affiches, prospectus, annonces, catalogues, journaux spécialisés, la publicité qui envahit la librairie romantique34 favorise la diffusion de ces caractères. Les titres du catalogue de Librairie de Ladvocat, à Paris, Palais-Royal, Galerie de bois, n°. 195, Ouvrages publiés par souscription, sont bien composés avec les mêmes caractères Titres pour affiches de la fonderie Molé jeune qui deviennent les principaux outils de communication des entrepreneurs en librairie35 :

Se faire entrepreneur en librairie et plus encore en édition, cela consiste, dans ces temps romantiques, à apprendre les procédés publicitaires. La notoriété dans le grand public est déjà pour les commerçants en librairie – souvent homme de tradition d’autre half – une nécessité impérieuse.

journal des spectacles, des lettres, des arts, des mœurs et des modes,
Étienne Gosse & Louis Gabriel Montigny, La Pandore, journal des spectacles, des lettres, des arts, des mœurs et des modes, M. Ernest, № 1, 16 juillet 1823, Paris, 4-JO-11536, copy numérique d’Aurélien Vret.

On retrouve les mêmes caractères Titres composés dans un Gros romain, de hauteur de 9,5 mm, pour le titre de cette revue qu’édite aussi Ladvocat, comme La Pandore, en collaboration avec Charles-Alexandre Pollet ou Jean-Nicolas Barba36.

Usage des caractères de Titres de Joseph Molé
L’Abbé Costaing de Pusignan, La muse de Pétrarque dans les collines de Vaucluse, ou, Laure des Baux, sa solitude et son tombeau dans le vallon de Galas, chez Rapet, 413 rue Saint-André des-arcs, Paris, 1819, frontispice, Getty Analysis Institute, 7079107

D’ailleurs les caractères Titres de Molé apparaissent tout de suite également dans la composition de frontispices de publications modestes. Dans cette unique édition de Jean Joseph François Costaing de Pusignan, La muse de Pétrarque dans les collines de Vaucluse, ou, Laure des Baux, sa solitude et son tombeau dans le vallon de Galas, certaines events du frontispice comme « LA MUSE » est composée en Nompareille (hauteur de three,4 mm), et « LAURE DES BAUX » en Gaillarde (hauteur de Four,6 mm). On peut comparer la publication avec celle d’un libraire qui a contribué à publier les premiers ouvrages des jeunes écrivains romantiques37 et qui fut aussi l’éditeur38 de Félicité de Genlis39. Pour la troisième édition40 de Pétrarque et Laure de Stéphanie-Félicité Du Crest comtesse de Genlis41 (1746-1830), Lecointe et Durey emploient aussi des caractères du catalogue typographique de Joseph Molé. Le frontispice est composé avec les caractères Titres et les Lettres de deux factors. La première web page begin avec les Lettres de deux points composées dans un Petit romain (hauteur de 5,4 mm), et en Gaillarde (hauteur de 4,Four mm).

Page de livre permettant d'identifier les Lattres de deux points grasses de Joseph Molé
Madame de Genlis, Pétrarque et Laure, 3ᵉ édition, tome premier, Lecointe et Durey, libraires, 49 quai des Augustins, Paris, 1825, frontispice, Bibliothèque de l’Université d’Ottawa, 755759348

Chez les mêmes éditeurs, la première édition que Victor Hugo a corrigée et contrôlée lui-même42, Han d’Islande, celui-ci emploie toujours les caractères Titres, dans un Cicéro et un Petit Romain, pour composer le frontispice. Mais aussi, la préface43 très raffinée de Victor Hugo est composée dans un Gros romain № 30144 de hauteur de x de 2,5 mm, et aussi gravé par Joseph Molé après 1819.

Livre de Victor Hugo permettant d'identifié les caractères de Joseph Molé
Victor Hugo, Han d’Islande, 2ᵈᵉ édition, tome premier, Lecointe et Durey, libraires, 49 quai des Augustins, Paris, 1823, p.I, 8-BL-23088 (1)

Cet ouvrage de Victor Hugo permet d’identifier un autre poinçon conservé dans le fonds Mandel et gravé par Joseph Molé. Celui-ci n’est pas signé par une estampille qui porte le nom de Joseph Molé, mais est marqué par deux petits factors ronds « : » comme on le voit distinctement sur son chant. Il s’agit donc de sa signature en tant que graveur de poinçons et permettra par la suite d’identifier plus facilement les poinçons qu’il a lui-même gravé.

poinçon en acier, gravé par Joseph Molé
Joseph Molé, Italique № 298, «w», poinçon en acier, gravé par Joseph Molé, fonderie Molé jeune, graveur et fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819-1823, Objet Mandel 194, bibliothèque de l’Arsenal, BnF, copy numérique d’Aurélien Vret.

Le caractère gravé sur l’œil du poinçon est un « w ». Sa gravure est unique et correspond à la façon dont Joseph Molé utilise les formes d’écriture manuscrite de maîtres écrivains, qu’il a empruntées et perfectionnées, pour former son alphabet italique. On retrouve cette angle seulement avec les graveurs Firmin Didot45 et Jean Vibert (1763-1843)46 qui étaient ses concurrents directs.

poinçon en acier, gravé par Joseph Molé
Joseph Molé, Italique № 298, «w», poinçon en acier, gravé par Joseph Molé, saint-augustin, hauteur de x de 2,2 mm, fonderie Molé jeune, graveur et fondeur, 78 rue de la Harpe, Paris, 1819-1823, Objet Mandel 194, bibliothèque de l’Arsenal, BnF, copy numérique d’Aurélien Vret.

Étant donné que dans aucune épreuve de caractères de la fonderie Molé jeune ne figure à chaque fois l’alphabet entier pour chaque fonte qu’a gravé Joseph Molé, il est très difficile d’identifier exactement ce poinçon par l’intermédiaire de ses propres spécimens. Seule la préface de cette seconde édition de Han d’Islande, que Victor Hugo a écrit volontairement dans ces gros caractères, permet de s’approcher au plus près du caractère « w » gravé sur le poinçon du fonds Mandel. On retrouve une gravure similaire du « w » dans « Guldenlew » & « Guldenloëwe », bien que ces deux noms soient composés en Italique № 301 pour accompagner le texte courant composé dans le Gros romain № 301. Victor Hugo écrit clairement ici qu’il « [n’a] jamais employé ces caractères romantiques qu’avec extrême sobriété », faisant de cette seconde édition la première à utiliser aussi l’adjectif romantiques pour décrire les caractères typographiques qu’il a lui-même choisis. L’utilization de la lettre « W » était pour Victor Hugo un geste avant-gardiste puisque la lettre « w » n’est entrée dans l’utilization officiel en tant que 23ᵉ lettre de l’alphabet français qu’en 1964, date à laquelle le dictionnaire de Robert l’adopta Read more

Comments