Qu’est-ce qu’un jeu vidéo préhistorique ?

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La BnF accueille tous les ans des chercheurs associés qui conduisent un travail au plus près de ses collections. Benjamin Efrati présente l’avancement de ses recherches menées au département Son, vidéo et multimédia autour de son projet :  Dinosaures, évolution, humanités : Imaginaires de la Préhistoire vus à travers les jeux vidéo, mené en parallèle de sa thèse1.

Un lecteur de cassette audio était nécessaire pour charger un jeu sur l’Amstrad, dont le modèle CPC (Colour Private Pc) est commercialisé en 1984.
Image : Sapiens, jeu vidéo culte signé Didier et Olivier Guillion, Loriciels, 1986
Source : website Gameblog.fr

Introduction

Parmi les missions du département Son, vidéo, multimédia de la BnF, la collecte de jeux vidéo est peut-être l’une des plus surprenantes. Dépositaire de plus de 20 000 jeux rentrés by way of le dépôt légal, la BnF dispose d’un corpus représentatif de l’histoire des jeux vidéo, et qui met à la disposition des chercheurs une véritable machine à voyager dans le “temps profond des médias”2. Or, qu’est-ce qu’un jeu vidéo ? La question de la définition du média n’a rien d’évident. Elle a notamment été traitée d’un point de vue philosophique par Mathieu Triclot. Selon lui, le jeu vidéo entraîne une « expériences instrumentée » qui se déploie dans la relation à l’écran”3 : comme les formes d’expérience produites par la littérature et le cinéma, c’est dans la relation avec un dispositif method que les jeux vidéo provoquent des régimes d’expérience qui leur sont propres. Peu importe que les mondes vidéoludiques soient dits “virtuels”. Ils donnent accès, à travers un état comparable à l’hallucination, à des expériences qui, du point de vue de l’esprit, sont réelles.

Développer un jeu vidéo, c’est bien sûr écrire un scénario et produire des contenus sensibles (pictures, sons), mais c’est surtout proposer un ensemble de choix. Jouer, c’est alors s’orienter dans un labyrinthe, chercher à résoudre des énigmes, relever des défis de précision ; c’est consentir activement à suspendre notre incrédulité à travers l’investissement émotionnel et l’engagement attentionnel dans un monde imaginaire. Que se passe-t-il donc lorsque ce monde imaginaire renvoie à une période aussi lointaine et aussi difficile à imaginer que la préhistoire ?

Lorsqu’elle apparaît dans les jeux vidéo, la préhistoire ne se présente pas comme un monde avant tout fictif : à la différence des jeux d’heroic fantasy ou de science-fiction, il s’agit d’une époque archéologiquement connue. Mais la préhistoire des jeux vidéo ne peut être confondue avec les réalités historiques régulièrement mobilisées par le média. Là où l’archéologie s’intéresse aux cultures matérielles des populations anciennes, une approche des jeux vidéo par l’archéologie des médias se concentrera sur les cultures dématérialisées, c’est-à-dire les représentations et les usages qui circulent à travers l’imaginaire développé à partir des applied sciences numériques.& Les jeux qui mettent en scène des époques historiques bien documentées comme la seconde guerre mondiale ou le Japon médiéval sont en effet très populaires ; nombreux sont aussi les jeux qui nous invitent à interagir avec d’autres périodes et d’autres contrées, telles que l’Antiquité gréco-latine et la Scandinavie pré-moderne. La préhistoire se distingue en premier lieu de ces objets d’étude historiques de par les immenses durées qui nous en éloignent ; les enjeux des thématiques préhistoriques, eux aussi, sont à part, puisqu’il s’agit potentiellement de gamifier les origines de l’humanité toute entière. L’étymologie du terme avatar nous renvoie à l’idée d’une descente, c’est-à-dire l’incarnation de divinités sous forme de corps mortels, désignant un véhicule qui permet à des entités immatérielles d’interagir avec le monde physique. Inversement, le terme est utilisé pour désigner les manières dont nous interagissons avec un monde immatériel, impalpable, dans les jeux vidéo.

Cet article, le premier d’une série de publications sur le carnet de recherches de la BnF, sera consacré à un tour d’horizon des mécaniques et des varieties de jeux vidéo qui ont été associés à la thématique préhistorique. Il sera l’occasion de développer une définition de ce que peut être un jeu vidéo préhistorique, en convoquant essentiellement des exemples de jeux figurant dans la collection de la BnF.

Les jeux de plateformes

Si l’on s’en tient à la stricte représentation des circumstances d’existence de populations d’Homo Sapiens à la préhistoire, un corpus raisonné apparaît, ne contenant pas plus de 200 jeux vidéo produits entre 1982 et 2022. Ainsi définis, les jeux vidéo préhistoriques sont une area of interest modeste. Mais si l’on accepte que les dinosaures sont des animaux préhistoriques, il devient beaucoup plus difficile de délimiter un corpus : en effet, ces créatures sont pour ainsi dire omniprésentes dans les jeux vidéo. En tant que thématique, la préhistoire humaine est convoquée en conjonction avec des mécaniques de jeux très variées. Nous allons donc présenter un panel représentatif des jeux vidéo préhistoriques, en partant de la définition la plus stricte, que nous élargirons graduellement.

Les jeux de plateforme sont un des genres les plus emblématiques du jeux vidéo. Dans les années 1980, la production de l’industrie naissante du jeu vidéo se destine à trois varieties de plateformes :& les jeux d’arcade, héritiers du flipper et des jeux mécaniques ; les jeux destinés aux premiers micro-ordinateurs, contrôlés au clavier et à la souris ; et enfin, les premières consoles de salon. Les limites technologiques (résolution d’affichage et mémoire limitée) sont des contraintes fortes : les jeux vidéo se limitent généralement à des actions simples exprimées dans un espace bidimensionnel. Dans les platformers, on contrôle un personnage qu’on conduit au travers de niveaux, faits de plateformes, d’obstacles, d’ennemis et de bonus : on saute de plateforme en plateforme pour survivre. Pour gagner la partie, il faut traverser tous les tableaux.

Notre récit begin en 1991, avec Prehistorik4, un jeu produit par la société française Titus. Un avatar d’apparence fruste, vêtu d’un slip léopard et armé d’une massue en bois, affronte de petits dinosaures aux sourcils froncés. Il peut aussi se déplacer en utilisant un système de grottes, à travers lesquelles il se téléporte en quelque sorte de tableau en tableau. Ce système de grottes, hérité de systèmes de passages secrets dans d’autres platformers, ajoute une dimension réellement labyrinthique au jeu, et exploite à merveille le caractère mystérieux des cavités souterraines sans pour autant en représenter les parois et diverticules.

La même année, tout droit sorti de l’imaginaire britannique, paraît un jeu non moins iconique. Chuck Rock5, c’est l’humour burlesque des Pierrafeu, porté à son paroxysme. Le protagoniste, Chuck Rock, est un homme d’âge moyen, au entrance bas et au ventre bedonnant au moyen duquel il peut attaquer ses antagonistes. Vêtu d’un simple pagne, il affronte une nature hostile, patchwork d’éléments absurdes et chromatiquement saturée ses ennemis, qu’il peut aussi écraser sous le poids de grosses pierres portées à bout de bras.

Toujours la même année, la société japonaise Hudson Delicate propose sa model du platformer préhistorique sous la forme d’un jeu aux couleurs chatoyantes : Joe & Mac: Caveman Ninja6. Les protagonistes, Joe et Mac, sont deux hommes préhistoriques aux torses musclés. Vêtus comme Chuck Rock de pagnes végétaux, leurs armes sont plus conventionnelles : un silex emmanché (une hache) et un os aux allures de gourdin.

Outre le choix de proposer comme avatars des caricatures d’hommes des cavernes, dont les apparences varient selon le lieu de production, ces trois jeux ont un point commun déterminant : les ennemis sont pour une grande majorité des dinosaures. On notice aussi un traitement différent de la référence à la réalité de la préhistoire telle que l’archéologie et la paléoanthropologie nous la content material. Cette distance prise par rapport au réalisme se double d’une approche humoristique des représentations : c’est l’anachronisme, comme ressort humoristique burlesque, qui vient contrebalancer l’absence de réalisme pour procurer un effet d’identification. Comme dans la série animée de Hanna-Barbera, Les Pierrafeu, diffusée sur la chaîne de télévision ABC dès 1960, le devenir technologique de l’humanité est au cœur de ces représentations d’une préhistoire en carton ; la référence à la préhistoire n’est ni érudite ni méthodique, automotive celle-ci n’est qu’un thème de décor comme un autre. On peut toutefois s’interroger sur l’équivalence symbolique d’un décor préhistorique avec un décor médiéval, fantastique ou d’anticipation. En mettant leurs avatars dans la state of affairs de se défendre pour leur survie, ces jeux nous racontent pourtant quelque chose de l’histoire de notre espèce. Ces humains antédiluviens, pour ridicules et caricaturaux qu’ils soient, luttent pour leur survie, et leur fight contre une nature menaçante, dominante.

Après une seconde itération du titre Prehistorik en 1993, la société Titus remet le couvert en 1995 avec Prehistorik Man7. Quelques années à peine se sont écoulées, et les développeurs ont ajouté une mécanique ahurissante à leur platformer : le protagoniste est équipé d’une sorte de deltaplane préhistorique, qui lui permet de s’envoler chercher des bonus sur des plateformes flottantes, inaccessibles pour le chasseur-cueilleur fruste de 1991, qui n’utilisait que ses deux jambes pour courir.

Au cours des dix dernières années, les platformers préhistoriques ont connu un regain d’intérêt dans le contexte de la revalorisation des mécaniques et de l’esthétique des jeux des années 1980-1990. Sous l’étendard du retrogaming, des développeurs indépendants produisent des titres évoquant une nostalgie assumée pour la tradition vidéoludique des débuts. On peut apprécier que cette nostalgie, qui s’exprime à travers un culte du pixel art et de la musique eight bits, soit régulièrement appliquée à la thématique préhistorique. Comme l’évoque le titre du livre de Damien Djaouti, Préhistoire des jeux vidéo (2019), la sensibilité esthétique contemporaine aime à considérer les jeux anciens, les mécaniques classiques et les genres éprouvés comme des ancêtres évolutifs des formes vidéoludiques actuelles. Parmi ces jeux très récents qui font la part belle à la mécanique du platformer préhistorique pixelisé, on peut citer There was a caveman8, Dinocide9, 150,000 B.C.10 ou encore Prehistoric Dude11.

Les jeux de stratégie et de gestion

Pourtant, la préhistoire n’est pas uniquement associée au style du jeu de plateforme. Plus loin de ce modèle d’interaction orienté motion, on trouve nombre d’exemples de titres qui proposent un tout autre sort de jouabilité : les jeux de stratégie et de gestion. Eux aussi sont en deux dimensions, mais au lieu de mettre un protagoniste au centre de l’image, ils se fondent sur une représentation du paysage vue du dessus. Il s’agit alors de naviguer à travers une carte, d’opérer des choix locaux et de superviser le développement de processus s’exprimant dans une temporalité plus longue : construire, aménager, administrer.

Parmi les plus connus dans ce registre, on ne peut éviter de nommer la franchise Sim City12 produite par la société Maxis dès 1989. La préhistoire intervient ici sur le mode de l’uchronie, et c’est sous le nom de Sim Earth: the Dwelling Planet13 (1990) puis Simlife 14 (1992) que nous rencontrons pour la première fois de manière pleinement explicite une mécanique de jeu qui fait explicitement appel à la notion d’évolution. Simultanément, au Japon, la société Enix produit des titres comme 46 Okunen Monogatari ~ The Shinka Ron (The Concept of Evolution)15 et E.V.O. : Search for Eden16, qui participent à conforter l’idée selon laquelle les créateurs de jeux vidéo abordent à travers la préhistoire la question des origines de la vie. Peut-être en lointain écho aux automates cellulaires du Jeu de la Vie17 développé par le mathématicien britannique John Conway, les jeux qui font de l’évolution un jeu nous renvoient régulièrement au Huge Bang, à l’apparition des premières formes de vie dans les océans primordiaux, et à l’apparition des organismes multicellulaires. D’autres varieties de jeux nous parleront aussi d’évolution, à travers d’autres systèmes de visualisation et d’autres mécaniques. C’est le cas de la franchise Spore18, qui comme Sim Metropolis est signé Maxis. Il s’agit ici d’un jeu en imaginative and prescient à la troisième personne, consistant à faire évoluer des créatures à l’aide de “DNA factors” : à travers l’acquisition de nouveaux membres, de nouvelles aptitudes, en somme, de nouveaux traits adaptatifs (membres plus forts, corps plus résistants, manufacturing d’électricité ou de poison). Parmi les jeux abordant l’évolution de façon plus modeste, on trouve aussi Chromodino19, un jeu de puzzle minimaliste dans lequel il s’agit de manipuler des filaments d’ADN symboliques en vue de collectionner différentes espèces plus ou moins fictives de dinosaures. Dans les jeux de gestion et de stratégie, les formes du vivant sont plus ou moins fantasques, plutôt que réalistes ; ces jeux visent à procurer un level de vue transcendant à ceux et celles qui les joueront. C’est aussi le pari tenu par Peter Molyneux, qui en 1989 avec Populous20 invente le concept de “God Recreation” : un jeu dans lequel on est un dieu du point de vue des personnages non-joueurs.

Des dinosaures face à la perspective de leur extinction citent la réplique de Han Solo dans Star Wars Episode IV : Un Nouvel Espoir : “J’ai un un mauvais pressentiment…”
Image extraite de 46 Okunen Monogatari ~ The Shinka Ron, Enix, 1990
Supply : website igbd.com

Vue sous cet angle, l’évolution, prise comme une mécanique de jeu, s’inscrit dans une compréhension créationniste : on est projeté dans le rôle du grand horloger, de la divinité quasi-omnipotente et omnisciente qui veille sur sa création. Le premier jeu de Molyneux, The Entrepreneur21 préfigurait déjà en 1984 ce sort de gameplay. On peut donc dire que dans la imaginative and prescient de ce développeur à succès, nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le Ministre de la Tradition français en 2021, le chef d’entreprise représente une forme de démiurge. La faculté d’administrer une société apparaît comme une modalité de la toute-puissance à laquelle tout self-made man en puissance est en droit d’aspirer. Si tous les jeux de gestion ne sont pas des God Games, on peut toutefois noter que les modalités d’interaction qu’ils proposent sont fondées sur une imaginative and prescient surplombante, et sur l’exercice d’un pouvoir qui se distingue en tout de la lutte pour la survie de l’humain perdu dans une nature hostile des platformers.

Parmi les titres les plus marquants dans le domaine des jeux de gestion et de stratégie, deux références s’imposent, qui font de l’histoire des civilisations leur level focal. Le premier, Civilization22 (1991), se joue au tour par tour ; le second, Age of Empires23 (1997), est ce qu’on appelle un jeu de stratégie en temps réel. Tous deux font appel à un sort de récit qui n’est pas sans rappeler les heures sombres de l’évolutionnisme culturel. En effet, une partie consiste à amener une population humaine à dominer le monde. Pour cela, il faut quitter le mode de vie nomade des chasseurs-cueilleurs, se sédentariser, maîtriser la métallurgie, se défendre et vaincre les populations adverses. Ces jeux proposent, chacun à sa manière, de réécrire l’histoire ; mais pour finir le jeu, il faut passer par la conquête des contrées dites “sauvages”, soumettre les populations dites “primitives”, en somme il faut rejouer une certaine compréhension de la “destinée manifeste” de l’humanité : on a affaire à une imaginative and prescient téléologique de l’histoire, où plus de technologie, plus de civilisation, plus de hiérarchie constitue une évolution sur les modes de vie non-sédentaires.

Toujours dans le registre des God Video games préhistoriques, un exemple se démarque radicalement : From Dust24, développé par Ubisoft et réalisé par Eric Chahi en 2013. Ici, il s’agit littéralement de déplacer des montagnes et les océans, afin de favoriser le développement d’une société d’humains peu ou prou préhistoriques. Ce qui distingue ce jeu des autres du style, c’est la surprenante affinité qu’il développe avec une notion de matérialité, de physicalité de l’activité démiurgique. Le design sonore, comme le traitement graphique des éléments primordiaux (terre, eau, feu…) présentent un caractère concret, granulaire, dans lequel réside une dimension poétique généralement absente dans les God Games. La narration nous entraîne sans retenue dans une mythologie élémentaire aux allures d’anthropologie fictionnelle, faisant de la poursuite d’un équilibre entre les humains et la nature l’objectif du jeu, par opposition à son exploitation.

Les jeux d’aventure

On l’a compris, la préhistoire est un thème qui se prête à la fois à la mise en state of affairs de la survie, de l’évolution et de la gestion. A travers différentes mécaniques de jeu, il s’agit de nous faire “revivre” l’épopée de l’espèce humaine, thématique qui convoque aussi bien la nécessité d’agir (jeux d’motion), l’appel de la nature (jeux d’aventure), ou l’aptitude à planifier les actions d’une population de populations (jeux de stratégie).

D’autres varieties de jeux convoquent aussi la préhistoire, parfois au prix d’un recours immodéré à des dispositifs narratifs hérités de la science-fiction comme le voyage dans le temps. C’est le cas du jeu d’aventure graphique de style “pointer et cliquer”, Les Voyageurs du Temps : la menace25, publié en 1989 par les français de Delphine Software program International et dont le design graphique est signé Eric Chahi. A travers une trame narrative fantasque, nous nous trouvons renvoyés à l’ère du Crétacé. Le même dispositif est utilisé dans le jeu de rôle Chrono Set off26, qui prend place dans un univers imaginaire ressemblant à la planète Terre et nous transporte 65 000 000 ans avant le présent. Y vivent des créatures anthropomorphiques aux airs de reptiles ainsi que des humains préhistoriques, vêtus de peaux de bêtes et manipulant des massues. Dans Chrono Trigger, le système de vision vu du dessus, emprunté aux jeux comme The Legend of Zelda27, nous permet d’explorer une carte bidimensionnelle peuplée d’alliés, d’antagonistes et d’objets tout droit tirés de l’univers fantastique : elixirs, capes et anneaux magiques, casques, armures et épées. Le jeu suggest de voyager dans le temps, ce qui explique que nous y trouvons aussi des armes à feu, des bras mécaniques et des motos auto-propulsées.


Dans ces jeux d’aventure, on begin à voir poindre une idée largement répandue dans les jeux vidéo préhistoriques : à travers le voyage dans le temps, nous sommes invités à mélanger, sinon à confondre, le plus lointain passé avec le futur. Cette idée se trouve renforcée dans de très nombreux jeux de survie fondés sur un imaginaire d’anticipation et de dystopie. C’est ainsi que des jeux de survie à la première personne et en 3D, comme Robinson’s Requiem28, produit par les Français de Silmarils en 1994, nous projettent dans l’espace, à la recherche de nouvelles planètes et nous immerge dans une simulation de nature hostile à visée hyper-réaliste. Le jeu suggest des mécaniques innovantes, devenues très prisées dans le genre du jeu de survie, telles que la gestion du sommeil, la nécessité de se nourrir et de s’abreuver. Il nécessite aussi de s’armer pour se défendre contre des créatures monstrueuses allant du loup-garou aux araignées géantes, ou tout simplement des tricératops. Une trentaine d’années plus tard, ce sort de jeu est devenu très populaire, comme le montre le succès incontestable du jeu massivement multijoueur en ligne Ark: Survival Advanced29. Il faut commenter ce titre, à travers lequel les concepteurs appliquent de manière inattendue le principe d’évolution à une mécanique du jeu, la survie. En superposant ces deux concepts, plus encore qu’en nous proposant d’élever des dinosaures et de confectionner des armes en pierre taillée, Ark fait explicitement appel à une idée générale de la préhistoire : l’humanité face à la nature, telle David devant Goliath.

Presque dix ans plus avant Robinson’s Requiem, en 1986, Didier et Olivier Guillon développent un autre jeu cultissime : Sapiens30. Techniquement à la pointe, le jeu suggest plusieurs systèmes de navigation dont une “vue paysage” en trois dimensions avant-gardiste pour l’époque. Il fait appel à la method de génération procédurale pour proposer une quantité immense de paysages originaux, et met en place bien d’autres astuces methods au travers desquelles les développeurs exploitent au maximum les limitations methods des plateformes de l’époque. Ce jeu, pionnier du style s’il en est, s’attache à représenter avec un sure réalisme le mode de vie des dernières populations néandertaliennes d’Eurasie occidentale. De manière bien plus éclatante que les jeux de plateformes et de stratégie, il met en scène une préhistoire documentée à l’aune d’ouvrages scientifiques, et exige de la half de ses joueurs une conduite civilisée : c’est uniquement à travers des offrandes aux personnages non-joueurs, la communication et en dernier lieu le fight qu’il sera attainable de venir à bout de ce récit interactif.

Sapiens préfigure sans nul doute des titres beaucoup plus récents, qui font coïncider les mécaniques de la survie et la thématique préhistorique. On pense notamment à Far Cry Primal31, un jeu de tir en première personne utilisant des éléments d’aventure, d’horreur, et proposant sous la forme de “donjons” labyrinthiques d’explorer diverses cavités souterraines. Bien que de facture graphique hyperréaliste, Far Cry Primal s’adresse à des joueurs aguerris, souhaitant en découdre avec les différents ennemis, apprivoiser des super-prédateurs et chasser le mammouth. En 2019, les canadiens de Panache Digital Video games lancent Ancestors: The Humankind Odyssey32. Ce studio fondé par le concepteur de la franchise Assassin’s Creed33, Patrice Désilets, propose un jeu d’une grande originalité, qui met en jeu des mécaniques d’évolution, de survie, de fabrication et d’exploration. A mi-chemin entre jeu d’aventure et jeu de gestion, le système de jeu nous invite à faire évoluer un groupe d’hominidés, nos ancêtres lointains : il s’agit des derniers ancêtres communs du genre Homo et des grands singes. C’est un jeu d’adresse autant que de stratégie, dont le soin du détail archéologique et paléoanthropologique n’est pas la moindre des qualités. A travers une interface héritée du jeu de rôle, nous plongeons au plus profond du système nerveux et décidons d’optimiser le patrimoine génétique de notre inhabitants, et traversons ainsi des distances temporelles de plusieurs tens of millions d’années.

Les jeux éducatifs

Reste à évoquer un sort de jeu à visée explicitement éducative, de par la densité des renseignements archéologiquement valides qu’ils contiennent, et la place qu’ils réservent à la vulgarisation scientifique. On pourrait présenter ces jeux comme des logiciels éducatifs, à situation d’omettre tout commentaire sur les mécaniques vidéoludiques qu’ils mettent à revenue. Le premier de ces jeux, consacré à l’histoire évolutive de l’espèce humaine, fait une utilisation tout à fait raisonnée des codes de la tradition vidéoludique. Publié en 1999, Aux Origines de l’Homme34 suggest de découvrir graduellement les connaissances scientifiques mises à disposition dans le jeu, ce qui le rapproche en un sens métaphorique des jeux d’enquête. Réalisé sous la path scientifique d’Yves Coppens, dont le nom reste associé à la découverte de l’australopithèque Lucy, ce jeu esquisse implicitement une comparaison entre la méthodologie du paléoanthropologue et celle du détective.

Il faut attendre 2004 pour qu’un jeu comparable sorte. Il s’agit de Sethi et la tribu de Néandertal35, produit en 2004 par la société française Montparnasse Multimédia, et destiné en premier lieu à un public âgé de 6 à 10 ans. Sous le couvert d’un design graphique emprunt d’illustration jeunesse, ce jeu en pointer-et-cliquer constitue une mine d’informations pertinentes pour toute personne cherchant une expérience vidéoludique à même de transmettre des éléments de connaissance de base concernant les modes de vie des populations préhistoriques. En 2005, une autre société française, Khéops Studio, développe un jeu du même sort, destiné à un public plus mûr : Au coeur de Lascaux36. Il s’agit toujours d’un jeu en pointer-et-cliquer, mais cette fois-ci sous forme de strolling simulator. C’est donc dans un univers tridimensionnel qu’il faut s’orienter pour avancer. Au coeur de Lascaux & foisonne d’idées originales, mais la difficulté de ses puzzles, décourageants pour les joueurs les moins persistants, ne sert pas nécessairement le projet de jeu éducatif. A la manière d’un critical recreation, le jeu introduit des chaînes opératoires complexes : méthodologies de fabrication d’outils en pierre taillée, confection d’objets à partir de matières animales, peinture rupestre… Ce jeu a par ailleurs bénéficié de l’expertise scientifique de l’archéologue Jean-Michel Geneste, et les fresques pariétales animées qui y figurent ne sont pas sans rappeler les recherches de Marc Azéma sur la préhistoire du cinéma.

Conclusion

En fouillant la collection de jeux vidéo dont dispose la BnF, il nous a été potential de faire un panorama relativement complet de ce qu’on peut appeler les jeux vidéo préhistoriques. Ces derniers, non contents de désigner les représentations de l’espèce humaine avant l’invention de l’écriture, convoquent aussi des animaux que nous ne connaissons qu’à travers la paléontologie : les dinosaures. Plus largement, l’évocation de l’évolution des espèces, et les tentatives de transformer cette théorie scientifique en mécanique de jeu, nous renvoie à un imaginaire du passé lointain, que le sens commun compresse sous le terme de préhistoire. Ce phénomène de compression à l’extrême de très longues durées, on le retrouve lorsque la science-fiction a recours à une préhistoire fantasmée, à laquelle elle accède depuis un futur imaginaire. La sensibilité dystopique de l’ère actuelle trouve une ressource de taille dans l’idée de préhistoire : si l’histoire doit prendre fin, si la civilisation humaine doit s’écrouler et si les applied sciences doivent disparaître, alors les comportements des humains à venir ne manqueront pas de ressembler à ceux des populations ayant foulé le sol de la planète il y a plusieurs dizaines de tens of millions d’années.

En conclusion, les jeux vidéo préhistoriques font apparaître un obstacle épistémologique de taille.& Interpréter les artefacts fragmentaires que nous livrent l’archéologie nécessite une part non négligeable de spéculation, qui semble détonner face à la nécessité de vulgariser des connaissances scientifiques en constante transformation. Dans ce contexte, une perspective de recherche intéressante serait donc d’évaluer la possibilité pour un jeu vidéo de vulgariser cet facet perpétuellement mouvant de la préhistoire en tant que science. Plutôt que de s’occuper à charrier des faits et des interprétations, les jeux vidéo pourraient servir à transmettre de leur mieux l’humilité de toute recherche sérieuse en préhistoire : celle qui donne le courage aux chercheurs d’admettre que les cadres de référence, comme les discours à propos de ces périodes encore mal connues, sont empreints d’idéologie, et sont en définitive voués à faire l’objet de mises à jour.

Notes

  1. Voir : « Les jeux vidéo préhistoriques : une archéologie des imaginaires et des usages au XXIe siècle », url : <http://www.theses.fr/s260154> et le carnet de recherche Jeux vidéo préhistoriques, url : <https://jvp.hypotheses.org/>.
  2. Siegfried Zielinski, Deep time of the media, Cambridge, MIT Press, 2006.
  3. Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011.
  4. Prehistorik, développé et édité par Titus France SA, 1991.
  5. Chuck Rock, développé par Core Design Ltd. et édité par Virgin Games, Inc. (Royaume-Uni), 1991.
  6. Joe & Mac: Caveman Ninja (titre unique : Tatakae Genshijin), développé par Knowledge East Corporation (Japon) et édité par Elite Techniques Ltd. (Royaume-Uni), 1991.
  7. Prehistorik Man, développé par Titus France SA (France) et édité parTitus Software program Company (USA), 1995.
  8. There was a Caveman, développé et édité par Nauris Amatnieks (Lettonie), 2015.
  9. Dinocide, développé et édité par AtomicTorch Studio Pte. Ltd. (Singapour), 2016.
  10. 150,000 B.C., développé par Carrot, édité par Storage Games (Canada), 2018.
  11. Prehistoric Dude, développé et édité par lightUP (Brésil), 2020.
  12. Sim Metropolis, développé par Maxis Software Inc. (USA) et édité par Brøderbund Software program, Inc. (USA), 1989.
  13. SimEarth: The Dwelling Planet, développé par Maxis Software program Inc.(USA) et édité par Ocean Software program Ltd. (USA), 1990.
  14. SimLife, développé et édité par Maxis Software Inc.(USA), 1992.
  15. 46 Okunen Monogatari ~ The Shinka Ron (The Principle of Evolution), développé et édité par Enix Company (Japon), 1990.
  16. E.V.O. : Search for Eden, développé par Almanic Corp. (Japon) et édité par Enix America Company (USA).
  17. On peut citer, à titre indicatif, l’un des premiers portages grand public de l’automate cellulaire auto-répliquant imaginé par John Conway en 1970 : Recreation of Life, Apple Pc, Inc. (USA), 1976.
  18. Spore, développé par Maxis Software Inc. (USA) et publié par Electronic Arts, Inc. (USA), 2008.
  19. Chromodino, développé par Jérôme Artamus dans le cadre de l’édition 2020 de International Recreation Jam.
  20. Populous, développé par Bullfrog Productions, Ltd. (Royaume-Uni) et édité par Digital Arts, Inc. (USA), 1989.
  21. The Entrepreneur, développé par Peter Molyneux (Grande-Bretagne), 1984.
  22. Sid Meier’s Civilization, développé par MPS Labs (USA) et édité par MicroProse Software program, Inc. (USA), 1991.
  23. Age of Empires, développé par Ensemble Studios Corporation (USA) et édité par Microsoft Corporation (USA), 1997.
  24. From Dust, développé par Ubisoft Montpellier SAS (France) et édité par Ubisoft Leisure SA (France), 2011.
  25. Les Voyageurs du temps : la menace, développé par Delphine Software Worldwide (France) et publié par Palace Software program, Ltd. (USA), 1989.
  26. Chrono Trigger, développé et édité par Sq. Co., Ltd. (Japon), 1995.
  27. The Legend of Zelda, développé et publié par Nintendo Co., Ltd. (Japon), 1986.
  28. Robinson’s Requiem, développé et publié par Silmarils (France), 1994.
  29. Ark: Survival Advanced, développé par Efecto Studios S.A.S., Instinct Video games S.A.E., Studio Wildcard, Digital Basement LLC (Worldwide) et publié par Studio Wildcard (USA), 2015.
  30. Sapiens, développé par Didier et Olivier Guillion, publié par Loriciel, 1986.
  31. Far Cry Primal, développé par Ubisoft Divertissements Inc. (Canada), publié par Ubisoft, Inc. (USA), 2016.
  32. Ancestors: The Humankind Odyssey, développé par Panache Digital Video games, Inc. (Canada), publié par Personal Division (USA), 2019.
  33. Assassin’s Creed, développé par Ubisoft Divertissements Inc. (Canada), publié par Ubisoft, Inc. (USA), 2007.
  34. Aux Origines de l’Homme, développé par Cryo (France), publié par& Microfolie’s éditions (France), 1999.
  35. Sethi et la tribu de Néandertal, développé par Montparnasse Multimédia (France), publié par Géo Jeunesse (France), 2004.
  36. Au cœur de Lascaux, développé par Kheops Studio (France), publié par The Adventure Company (Canada), 2005.

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