Un écrin pour la collection du duc de Luynes à la BnF

Bibliotheques Paris

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Le 7 janvier 1863, le duc de Luynes, Honoré Théodoric Paul Joseph d’Albert (1802-1867), donnait ses collections au& Cabinet des médailles de ce qui était alors la Bibliothèque impériale. Cette donation, rappelée dans la presse notamment à la mort du duc de Luynes, devenait ainsi la supply la plus importante d’enrichissement du Cupboard des Médailles au XIXe siècle, aussi bien du point de vue archéologique que numismatique.

Le public peut désormais aisément s’en rendre compte puisqu’une partie de la assortment est désormais exposée au sein du récent musée de la Bibliothèque nationale de France au sein d’une salle dédiée uniquement à la assortment.

Salle de Luynes © Guillaume Murat / BnF
Salle de Luynes © Guillaume Murat / BnF

Le don comprenait près de 7000 monnaies phéniciennes, gauloises, grecques, romaines, espagnoles, 373 pierres gravées antiques- sceaux-cylindres et cônes du Proche-Orient, camées et intailles. Elle était complétée de bijoux d’or grecs, étrusques et romains, de statuettes de bronze, des armures et des armes.

La céramique grecque, celle qui est principalement exposée au sein du musée, comprend une centaine de vases et 200 fragments. A cela s’ajoutent des sculptures, dont un torse de Vénus en marbre blanc.

Statue, "Torse de Vénus Anadyomène" (inv.57.219)
Statue, “Torse de Vénus Anadyomène” (inv.57.219), https://medaillesetantiques.bnf.fr/ark:/12148/c33gbdnj1

Une telle donation n’a pas manqué d’être relayée dans la presse, comme le montre l’exemple suivant :

Journal de la Société d’archéologie et du Comité du Musée lorrain, 1er janvier 1863

Un don véritablement princier a été récemment fait à la Bibliothèque impériale, qui est en practice de le placer convenablement : M. le duc de Luynes a cédé à cet établissement les précieuses collections qu’il formait, depuis tant d’années, avec le goût le plus éclairé et des dépenses énormes ; la seule condition qui soit imposée par le donateur est que la collection ne sera pas divisée, et qu’elle portera son nom. Elle renferme d’incroyables richesses d’après les estimations faites par M. Chabouillet1, conservateur du Cabinet des antiques et médailles à la& Bibliothèque impériale, qui a pris livraison du Cabinet de M. le duc de Luynes, au nom de l’Etat, les bronzes grecs et romains sont évalués à 600,000 ; les monnaies grecques à 100,000 fr. ; les pierres gravées à 150,000 fr. ; les camées à 150,000 fr. ; enfin les monnaies du moyen-âge et les accessoires ne valent pas moins de 200,000 fr. La collection entière est estimée à 1,200,000 francs.

Cet acte de munificence si intelligente, digne de rencontrer partout des imitateurs, ce qui rappelle le don fait naguère par M. Sauvageot2) au Musée du Louvre, a inspiré au rédacteur du Journal de la Meurthe et des Vosges des réflexions pleines de justesse, qu’il nous paraît opportun de reproduire :

« A notre avis, rien n’est plus beau, plus noble, que ces dons faits à une ville. Ne vaut-il pas mieux, quand on est riche d’ailleurs, et quand on possède un beau tableau, une belle statue, un objet d’artwork de grand prix, le donner à sa ville natale, que de l’abandonner aux vicissitudes de toute propriété privée ? Au moins vous serez sûr que votre don restera, soigneusement exposé et entretenu, la propriété de la ville, qui le montrera avec orgueil, avec la mention d’origine et le nom du donateur, aux visiteurs de tous les pays. Tandis qu’en abandonnant à ses destinées le tableau ou la statue, vous pouvez croire que l’œuvre d’un maître sera ou méconnue, ou délaissée dans quelque coin humide, ou brisée par un hasard brutal.

« Sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres, les anciens peuples peuvent nous servir d’exemples. Les grandes fortunes étaient alors plus communes qu’aujourd’hui ; sans doute, mais que de citoyens dont le nom serait oublié, perdu, sans les monuments dus à leur patriotisme, et qui, après deux mille ans, ont conservé la mémoire des providers rendus par celui qui a fait de sa fortune ce magnifique utilization ! »

Journal de la Société d’archéologie et du Comité du Musée lorrain, 1er janvier 1863, p. 23. Disponible sur Web, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33744v/f22.item>.

La donation ne manqua pas d’être rappelée dans la presse lors du décès du duc de Luynes, notamment après la publication d’un communiqué de la Bibliothèque, publié le dimanche 22 décembre 1867 dans Le Moniteur universel : journal officiel de l’Empire Français3, communiqué repris dans plusieurs périodiques, comme par exemple :

Le Constitutionnel, 1867

Nous lisons dans le Moniteur :
La perte si regrettable de M. le duc de Luynes ne pouvait être sentie plus vivement qu’à la Bibliothèque impériale, envers laquelle ce savant s’était montré si magnifique.
On ne s’étonnera donc pas que le comité consultatif4 de ce grand établissement ait été réuni le jour où s’est répandue la nouvelle de sa mort et qu’il ait consigné au procès-verbal de cette séance les lignes suivantes :
« M. l’administrateur général exprime les profonds regrets qu’inspire à la Bibliothèque impériale la nouvelle reçue aujourd’hui de la mort de M. le duc de Luynes. Les droits acquis par M. le duc de Luynes à la reconnaissance de la Bibliothèque étaient à tous égards exceptionnels. Aussi ce grand établissement honorait-il en lui plus qu’un donateur généreux à l’exemple de Caylus, de Falconnet, ou de tel autre savant dont les libéralités ont, si notablement que ce soit, enrichi nos collections nationales : la magnificence sans précédent de la donation de Luynes, faisait de celui qui l’avait accomplie un véritable bienfaiteur de la Bibliothèque, et c’est à ce titre que la mémoire qu’il y a laissée sera gardée avec une pieuse gratitude et un invariable respect.
» Evaluées, suivant l’inventaire dressé, à l’époque de la donation, à la somme de 1,224,904 francs, les collections formées par M. le duc de Luynes et attribuées par lui, en 1862, à la Bibliothèque impériale sans exception ni réserve d’aucune sorte, ces collections, les plus riches dans leur style que l’on ait réunies de nos jours, ne comprennent pas moins de 7,889 objets, tant médailles que vases, bronzes, bijoux, fragmens de sculpture et autres spécimens de l’art vintage. Si considérable toute fois que soit ce chiffre, c’est de la valeur archéologique des objets recueillis, de leur wonderful état de conservation ou de leur rareté que les collections de Luynes empruntent une importance principale. Pour perpétuer le souvenir de l’illustre savant qui les a données à la Bibliothèque impériale, M. l’administrateur exprime l’intention d’entrer immédiatement en occasion auprès de S. Exc. le ministre de l’instruction publique, afin d’obtenir de lui que le buste de M. le duc de Luynes soit placé au milieu des trésors dont la Bibliothèque impériale lui est redevable. Il ajoute qu’il se suggest aussi de solliciter du ministre l’autorisation de clore le département des médailles le jour où les obsèques de M. le duc de Luynes auront lieu, pour laisser aux employés de ce département la possibilité de se rendre à une cérémonie à laquelle, certainement, tous ceux des fonctionnaires des autres départemens de la Bibliothèque impériale, qui ne seront pas nécessairement retenus par le service public se feront un devoir d’assister. »
Des instructions sont sollicitées à cet effet de S. Exc. le ministre de l’instruction publique, qui avait saisi toutes les events d’exprimer à M. le duc de Luynes la profonde gratitude du gouvernement de l’Empereur.

Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire, lundi 23 décembre 1867, n° 357, p. [2]. Disponible sur Web, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6748464/f2>5.

La Chronique des arts et de la curiosité, 1867

La perte si regrettable de M. le duc de Luynes ne pouvait être sentie plus vivement qu’à la Bibliothèque impériale, envers laquelle ce savant s’était montré si magnifique.
Ce grand établissement honorait en lui plus qu’un donateur généreux à l’exemple de Caylus6, de Falconnet ((Sic pour Camille Falconet, (1671-1762). A sa mort, la bibliothèque préleva 11000 livres de sa assortment.)), ou de tel autre savant dont les libéralités ont si notablement que ce soit, enrichi nos collections nationales : la magnificence sans précédent de la donation de Luynes faisait de celui qui l’avait accomplie un véritable bienfaiteur de la Bibliothèque.
Évaluées, suivant l’inventaire dressé, à l’époque de la donation, à la somme de 1,224,904 francs, les collections formées par M. le duc de Luynes et attribuées par lui, en 1862, à la Bibliothèque impériale sans exception ni réserve d’aucune sorte, ces collections, les plus riches dans leur style que l’on ait réunies de nos jours, ne comprennent pas moins de 7,889 objets, tant médailles que vases, bronzes, bijoux, fragments de sculpture et autres spécimens de l’art vintage. Si considérable toutefois que soit ce chiffre, c’est de la valeur archéologique des objets recueillis, de leur wonderful état de conservation ou de leur rareté que les collections de Luynes empruntent une importance principale. Pour perpétuer le memento de l’illustre savant qui les a données à la Bibliothèque impériale, M. l’administrateur a exprimé l’intention d’entrer immédiatement en occasion auprès de S. Exc. le ministre de l’instruction publique, afin d’obtenir de lui que le buste de M. le duc de Luynes soit placé au milieu des trésors dont la Bibliothèque impériale lui est redevable.

La Chronique des arts et de la curiosité, 29 décembre 1867, p. 323. Disponible sur Web, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6200299h/f7>.

Comme le souhaitaient les membres du comité consultatif de la Bibliothèque impériale en 1867, le buste du duc determine désormais au sein du musée de la Bibliothèque nationale de France, au milieu de ses collections.

[Buste du duc de Luynes : buste] par Jean-Marie Bonnassieux (1810-1892), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b55009885c

Bibliographie

Citer cet article : Olivier Jacquot, "Un écrin pour la collection du duc de Luynes à la BnF". Dans Carnet de la recherche à la Bibliothèque nationale de France, ISSN 2493-4437, 24 octobre 2022. Disponible en ligne, url : <https://bnf.hypotheses.org/18992> (consulté le 7 novembre 2022).

Notes

  1. Anatole Chabouillet (1814-1899), conservateur du Département des médailles et antiques de la Bibliothèque nationale, 1859-1890.
  2. Charles Sauvageot (1781-1860) collectionneur, donateur, conservateur des musées impériaux.
  3. Le Moniteur universel, dimanche 22 décembre 1867, n° 356, p. [6] 1604 . Disponible sur Web, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4440675n/f6>.
  4. En vertu d’un décret impérial du 14 juillet 1858 (artwork. 13), la Bibliothèque est dirigée par un comité consultatif : « Les conservateurs sous-directeurs et les conservateurs actuellement en exercice forment un comité consultatif que l’administrateur général réunit une fois par mois. » En 1967, l’Administrateur est Jules-Antoine Taschereau qui le fut de 1858 à 1874.
  5. Le même texte paraît aussi dans L’Univers, mardi 24 décembre 1867, n° 249, p. [3]. Disponible sur Internet, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k697523p/f3>, L’Étendard, 24 décembre 1867, n° 358, p. [2]. Disponible sur Internet, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k40650519/f2>. Une model abrégée paraît dans le Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire, 1er janvier 1860, p. [60]. Disponible sur Web, url : <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30586594/f70>.
  6. Le Comte de Caylus (1692-1765) qui légua au roi Louis XV, après l’avoir publiée dans le Recueil d’Antiquités, sa assortment d’objets antiques. Voir : Jacquot, Olivier, « Comte de Caylus. Recueil d’antiquités, 1752-1767 », Carnet de la recherche à la Bibliothèque nationale de France, 22 septembre 2018. Disponible sur Internet, url : <https://bnf.hypotheses.org/4715>.

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